Substance coquine : le chocolat (1 de 2)

Quand arrive le temps de la Saint-Valentin, le chocolat est un produit qu’on associe spontanément aux petits cadeaux offert à l’être aimé – ou dont on espère être aimé: il suffit d’un coup d’œil aux tablettes de votre épicerie ou aux étalages des pharmacies, débordantes de boîtes de chocolats en forme de cœur, pour s’en convaincre! Saviez-vous que cette association entre amour et chocolat, loin d’être une invention moderne, remonte plutôt à plusieurs siècles avant nous? Et que l’aura «coquine» de cette substance n’est pas anodine?

Un aphrodisiaque traditionnel

cferland-mayas-codex-chocolatRappelons d’entrée de jeu que le chocolat vient des Amériques et qu’il est totalement inconnu de l’Ancien Monde avant les grandes explorations. Si vous avez eu le plaisir de visionner le film Chocolat, avec Juliette Binoche, vous savez déjà qu’il s’agit d’une substance traditionnelle en Amérique du Sud. Les Aztèques et les Mayas utilisent les fèves de comme monnaie d’échange, mais aussi pour pour se préparer un breuvage stimulant. Ils font griller les fèves puis les réduisent en poudre et mélangent cette poudre avec de l’eau. La recette idéale est d’environ 30 fèves pour une chopine d’eau. On agite vigoureusement le mélange pour faire lever une riche écume à la surface. Plusieurs épices y sont ajoutées, ce qui rend piquant ce breuvage déjà amer. Et qui pimente les ébats des amants l’ayant consommé.

Les premiers Européens à être témoins de cette préparation, au début du XVIe siècle, affirment que si le breuvage est pris modérément, il n’enivre pas… mais que, pris en excès, il produit un «désordre des sens» comme les vins mousseux!

C’est au XVIIe siècle qu’on assiste à l’introduction de nouvelles substances excitantes – dont le chocolat – en Europe. Le thé de l’Orient, le café du Moyen-Orient, le chocolat et le tabac d’Amérique du Sud offrent des sensations inédites à une Europe friande de nouveauté: ces petites douceurs contribuent à alimenter l’imaginaire colonial et exotique, la représentation qu’on se fait alors de tout ce qui n’est pas «civilisé». Pour l’adoucir et l’adapter au goût européen, on le prépare en y mélangeant de la vanille, de la cannelle et, bien sûr, beaucoup de sucre.

La boisson des dieux

cferland-chocolatLe chocolat pénètre d’abord le vieux continent par la Cour italienne, sous le roi Ferdinand 1er de Médicis, vers 1606. Les chocolatiers italiens, notamment ceux de Turin, de Naples et de Venise, développent d’ailleurs une expertise qui se perpétuera longtemps. En France, le frère aîné du cardinal de Richelieu est l’un des premiers à adopter le chocolat. L’arrivée de la jeune Marie-Thérèse, qui épouse Louis XIV en 1660, favorise encore la diffusion du chocolat. La nouvelle reine, dit-on, ne peut se passer de chocolat : elle en est si passionnée qu’elle en prend même en cachette.

Le siècle des Lumières consacre le chocolat au rang des substances favorites de la plupart des cours européennes. En 1737, le célèbre naturaliste Carl von Linné baptise le cacao du nom scientifique de Theobroma cacao, qui signifie littéralement «boisson des dieux» : cette appellation donne en quelque sorte ses lettres de noblesse à une substance depuis longtemps associée au plaisir, tout en constituant un rappel du culte dont elle était originellement l’objet.

Le grand Voltaire est un adepte convaincu du mélange de chocolat, de café, de lait et de sucre. Son secrétaire a même écrit que l’écrivain se nourrit exclusivement d’une douzaine de tasses de chocolat mélangé avec du café, depuis cinq heures du matin jusqu’à trois heures après midi. Voici qui explique sans doute sa grande productivité!

Luxure, volupté… et «petit garçon tout noir»

cferland-marquise-SevigneLe chocolat… Certains l’aiment, d’autres s’en méfient. Après tout, cette substance «sauvage» n’est-elle pas une ruse du Diable pour favoriser la luxure?

La grande popularité du chocolat auprès des Occidentaux s’explique en effet par son étroite relation avec l’univers de la sensualité et du libertinage. Dans son Traité des aliments, en 1702, Louis Lémery précise que les propriétés stimulantes du chocolat «sont propres à exciter les ardeurs de Vénus». Produit exotique de luxe, le chocolat est le support de bien des fantasmes chez l’élite occidentale! Dans une lettre adressée à sa fille en 1671, Madame de Sévigné raconte qu’une marquise de sa connaissance a consommé tant de chocolat pendant sa grossesse qu’elle a accouché «d’un petit garçon tout noir»… mais il est vrai que la marquise en question se faisait servir son chocolat à son lit tous les matins par un jeune esclave Noir d’une grande beauté… 🙂

cferland-cavalier-dame-chocolatAccusée par son royal amant – Louis XV – d’être trop froide au lit, Madame de Pompadour essaie de se donner du tempérament en buvant quotidiennement plusieurs tasses de chocolat. Le célèbre Casanova lui-même considère le chocolat comme un remède contre le «manque d’ardeur» plus efficace que le champagne ou les huîtres. Le «nectar des Indes», comme on l’appelle parfois, figure également en bonne place dans l’œuvre tortueuse du marquis de Sade. La place du chocolat dans l’univers libertin est également évidente dans de nombreuses peintures de l’époque. Le chocolat est le prétexte d’un grand nombre de scènes galantes, comme un prélude à l’amour.

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Bref, boire une tasse de chocolat n’est pas un acte aussi anodin que boire un café ou un thé: cela renvoie à un univers chargé de sous-entendus explicites. C’est ce qui explique que jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le chocolat est d’abord et avant tout une substance d’adultes, à l’instar des boissons alcooliques. Ça changera éventuellement, jusqu’à devenir un ingrédient apprécié en cuisine par tous les membres de la famille, depuis les enfants jusqu’aux vieillards.

La suite dans un prochain billet… à l’occasion de Pâques!

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