Ou comment tirer son épingle du jeu dans un contexte chaotique
Dans la première partie de ce billet – qui a d’ailleurs suscité beaucoup de réactions et de commentaires, un grand merci! – je vous révélais mes trois premiers «commandements» de l’historien. Voici le reste de ma réflexion avec les quatre suivants. Je vous avise cependant que j’y vais «un peu raide» à certains moments, parce que c’est mon blogue et qu’il s’agit d’une tribune où j’estime pouvoir vous livrer le fond de ma pensée. Cela n’engage évidemment que moi. Voilà, vous êtes prévenus… Vous êtes prêts? Allons-y.
4) De stratégie tu useras résolument pour faire ta place
Attaché à suivre les traces du passé, le nez dans ses archives, l’historien n’est PEUT-ÊTRE pas la «bibitte» la plus stratégique de l’univers. Eh oui. Ce n’est pourtant pas l’intelligence ou l’esprit critique qui lui fait défaut, bien au contraire… mais la formation en sciences historiques ne développe pas spécifiquement la «combattivité» indispensable pour s’imposer sur le marché du travail. Tandis que l’étudiant en droit, en sciences ou en marketing a souvent un plan de carrière, avec des stages et des emplois d’été dans son milieu, l’étudiant en histoire a un parcours beaucoup plus… hem… aléatoire.
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible devenir un meilleur stratège. D’apprendre à «fourrer son nez» aux bons endroits pour rencontrer les bonnes personnes (revoir le «commandement» #2), trouver des mandats et décrocher des contrats. Et je vous rassure: être stratégique n’enlève rien à la «noblesse» de notre profession. Il s’agit ici de ne pas attendre passivement et, surtout, d’éviter de manquer de belles opportunités. Alors prenez le temps de vous projeter dans le futur. Où vous voyez-vous dans 6 mois? Dans 3 ans? Dans 9 ans? Quelles seraient les étapes pour y parvenir, en tenant compte de vos connaissances actuelles? Qui pourrait vous aider à atteindre vos objectifs?
Je ne saurais trop vous recommander de vous faire faire des cartes d’affaires et d’en avoir toujours quelques-unes sur vous. Cela projette une image professionnelle et évite de devoir griffonner vos coordonnées sur un bout de papier! Si vous êtes actif dans plus d’un créneau, vous pouvez même avoir des cartes différentes pour refléter vos expertises. Par exemple, désireuse de bien distinguer mes secteurs d’activité, j’ai des cartes d’affaires à titre d’historienne gourmande, de biographe et de coach en communication… ce qui me permet de remettre ce qui convient à mes clients potentiels.
Mais attention: si on ne fait pas sa place en longeant les murs, ce n’est pas non plus en «tassant» les autres que vous laisserez la meilleure impression. C’est vrai en toutes circonstances, remarquez bien. Être stratège, c’est aussi comprendre qu’il est dans l’intérêt général de s’allier plutôt que de s’affronter. N’hésitez pas à recommander vos amis, à leur faire suivre des offres pertinentes. Soyez un joueur d’équipe: notre belle discipline ne s’en portera que mieux!
5) De travailler gratuitement tu refuseras absolument
Bon, il est temps de se dire «les vraies affaires». Un historien est (souhaitons-le) passionné par son travail, mais cette passion ne signifie pas pour autant qu’il travaillera gratuitement. Comptez-vous sur la «passion» de votre comptable pour qu’il fasse votre rapport d’impôts sans se faire payer? Sur la «passion» de votre plombier pour réparer votre évier sans facturer ses honoraires? Ou sur la «passion» de votre dentiste pour repartir de son cabinet sans sortir votre carte de crédit? Certaines personnes semblent pourtant croire que les historiens, eux, peuvent et doivent accepter de travailler pour rien! C’est connu, l’histoire rend scandaleusement riche! 😉
Il y a lieu de définir ce que j’entends par «gratuité». Gratuit, c’est sans cachet ou rémunération, mais aussi sans attrait professionnel ou personnel. Rien pantoute. Si j’estime qu’une activité réalisée bénévolement m’apporte quand même quelque chose (au plan de la reconnaissance, de la renommée, de la philanthropie, etc.), bref que j’y trouve mon compte, il se peut que je décide d’accepter. Et s’il y a une compensation raisonnable, la prise en charge de mes frais de déplacement, de repas ou d’hébergement, bref que je sens que mon interlocuteur fait des efforts sincères pour bénéficier de mes services, ça pèsera aussi dans la balance. Mais en bout de ligne, c’est ma décision et je l’assumerai.
Oui, c’est VOTRE décision: ne laissez personne vous imposer sa vision à coups de «Ça va te faire de l’expérience». Surtout si vous en êtes à une étape de votre carrière où vous avez déjà l’expérience voulue pour gagner votre vie! Usez de jugement.
Sans compter un effet pernicieux: si vous acceptez trop souvent de travailler en-deçà de votre valeur, les gens finiront par penser que vous valez effectivement moins. Vous connaissez sans doute la propension des gens à accorder plus de respect et de considération à ce qui coûte plus cher… Eh bien c’est la même chose lorsqu’on est historien autonome. Il faut doser, c’est tout.
Laissez-moi vous raconter une petite anecdote. Il y a quelques mois, «on» m’a proposé de faire une conférence historique d’une heure dans le cadre d’un événement. «On» me demandait d’y prendre part à titre gracieux, expliquant que l’organisme était sans but lucratif (ce que je peux comprendre) mais en ajoutant – et c’est ce qui m’a piquée au vif – que l’on comptait «sur la passion pour l’histoire qui anime nos conférenciers» pour accepter de… faire plusieurs heures d’auto et aller carrément travailler à mes propres frais! J’ÉTAIS SUPER FRUE car, comme je lui ai répondu aussitôt, «cet argument est inacceptable et irrespectueux envers les historiens puisqu’il dévalue la nature, le sérieux et l’ampleur de notre travail.» Cibole!!! Si vous souhaitez lire l’histoire complète avec ses détails plus «crunchy», c’est ici.
6) Un meilleur communicateur tu t’efforceras de devenir
La communication, aujourd’hui, c’est le nerf de la guerre. Même pour quelqu’un qui préfère la compagnie des livres et des archives, la prise de parole en public (ou dans l’espace public, numérique compris) est INÉVITABLE. Pour se démarquer en histoire, savoir s’exprimer clairement et avec passion est une aptitude extrêmement précieuse. Là, vous avez envie de me dire «Ouais, c’est facile à dire, ça, Catherine: tu as ça dans le sang!» Eh bien, apprenez ici mon terrible secret: je suis foncièrement introvertie, solitaire et même plutôt timide. C’est un aspect sur lequel j’ai beaucoup, beaucoup travaillé depuis
toute ma vie 15 ans. Jeune, j’étais terrorisée par les exposés oraux. Si vous m’aviez entendue lors de mes premières conférences ou lors de mes premiers passages à la radio… ouf!
J’ai lu d’innombrables ouvrages sur la communication pour mieux comprendre les dimensions théoriques. Réflexe d’historienne! Puis, il a bien fallu me «mouiller» : j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai fait des communications dans des colloques, des conférences publiques, des interventions sur diverses tribunes. Parfois, on venait me chercher, alors qu’à d’autres moments, c’est moi qui ai pris l’initiative de me présenter afin d’acquérir de l’expérience. Je puis maintenant dire que je suis parfaitement à l’aise lorsque je prends la parole en public, aussi bien face à un micro de radio qu’en mini-colloque avec 12 personnes ou devant une salle de 200 personnes.
Pendant que j’ai votre attention, j’en profite vous informer qu’avec mon amie – et ancienne étudiante! – Marie-Hélène Janvier, j’ai fondé une compagnie, Académie Odyssée, afin d’offrir de la formation en communication aux étudiants et jeunes chercheurs en sciences humaines. Je veux enseigner mes meilleurs trucs, durement acquis au fil de mon expérience personnelle, pour permettre à d’autres de développer leur potentiel oratoire. Fin de l’infopub! 😉
Malgré tout le chemin parcouru, je dois encore travailler ce que j’appelle mes micro-interactions: vous savez, quand on arrive dans une salle où l’on ne connaît personne et qu’il faut aller se présenter. Il m’arrive encore souvent de «figer» ou d’éprouver une grande timidité, une sorte de syndrome de l’imposteur… Il y a encore place à amélioration et c’est mon défi personnel pour les prochains mois.
7) Au perfectionnement et à la «recherche et développement» tu consacreras du temps
Quand on est pris dans le quotidien, avec tous les «il faut» et une liste de choses à faire qui s’allonge sans cesse quoi que l’on fasse, il peut être difficile de dégager du temps pour prospecter l’avenir. Pourtant, il est essentiel de le faire et d’aller au-devant, au lieu d’attendre passivement que les choses viennent à soi… il s’agit de mettre en œuvre sa propre stratégie de développement professionnel (revoir le point #4). Pour l’historien, ça peut vouloir dire, concrètement:
- rédiger le plan d’un prochain article ;
- prendre position dans un débat (j’inclus ici les médias sociaux) ;
- communiquer avec une société d’histoire pour proposer une conférence ;
- suivre une formation d’appoint pour se perfectionner (en médias sociaux, en informatique, en français, en communication, etc.) ;
- contacter un organisme pour offrir ses services de consultant ;
- envoyer une proposition de communication ;
- consacrer quelques heures pour maîtriser une nouvelle application ou un outil (voyez ici ce que j’ai réussi à faire en 2 h sur la plateforme wideo!);
- écrire à un collègue pour établir une collaboration ;
- se former en marketing et réseautage ;
- se tenir informé des actualités du domaine et des domaines connexes ;
- et tutti quanti.
Cela ne s’arrête jamais, surtout si vous devenez, comme moi, un historien-entrepreneur. Mais c’est aussi une manière extraordinaire de ne pas «s’encroûter» – rien de plus navrant qu’un historien qui ressasse les mêmes sujets pendant des années et des années!
Et j’ai envie de vous apprendre une belle nouvelle. Par un joli retour des choses, j’aurai prochainement l’occasion de «donner au suivant» en devenant MENTOR. Eh oui! le programme de mentorat de l’Université Laval a réussi à me convaincre de prendre des étudiants sous mon aile à compter de l’automne prochain. Ça me remplit de joie! J’ai l’impression que ce sera une expérience très enrichissante et formative pour moi également.
*
Voilà, voilà, ça y est: j’en ai fini avec mes «7 commandements» de l’historien.
La profession d’historien est, comme toutes les professions, jalonnée de défis. La principale difficulté réside, je crois, dans le manque de modèles hors de la sphère universitaire. Il faut donc se montrer créatif. Certaines personnes trouveront leur place dans ce bel écosystème tandis que d’autres préféreront s’engager dans une voie différente. Je respecte cela. Je veux simplement vous dire que oui, c’est possible de se construire une carrière sur mesure en tant qu’historienne ou historien. S’il n’y a pas de recette unique, j’ai voulu vous dévoiler ici mes réflexions et mes meilleurs trucs pour vous y aider. J’espère sincèrement que cela vous sera utile! 🙂 Laissez-moi vos commentaires.
Bises.
– Catherine
Ping : Devenir historien en 7 étapes (première partie) « Catherine Ferland, historienne
Merci pour tous ses conseils, c’ est très généreux… mais comment »charger » un prix pour une conférence ou in interview. Comment chiffrer en $$$ ,100$ de l’ heure ?
Merci !
Bonjour M. Rioux!
Je vous remercie de votre intérêt.
Vous soulevez ici une excellente question… à laquelle il n’y a cependant pas de réponse unique car le cachet ou tarif est établi en fonction de l’activité, de votre expérience, des conditions particulières… Je vais quand même tâcher de vous aider au mieux.
Pour une conférence de 60-75 minutes, ce n’est pratiquement jamais un tarif horaire mais plutôt un cachet qu’il faut établir. Certaines sociétés d’histoire ou de généalogie offrent un montant fixe à leurs conférenciers (125$-250$), tandis que les bibliothèques publiques et organismes de loisirs ont parfois une enveloppe budgétaire un peu plus généreuse (225$-450$) pour rétribuer les intervenants. L’expérience du conférencier peut faire une différence, mais ce n’est pas toujours substantiel. C’est dans le corporatif que les cachets sont les plus intéressants. Par exemple, si j’offre une conférence gourmande au club social d’un cabinet d’avocats, je peux charger pas mal plus que si je l’offre à une petite bibliothèque régionale. Si vous avez une valeur ajoutée (notoriété, publications, etc.), vous avez plus d’atouts pour demander davantage. Mais quel que soit l’organisme qui vous engage pour une conférence, et quel que soit le cachet, vous afficherez bien sûr la même générosité et le même enthousiasme envers votre public! 😉
Le tarif à l’heure s’applique plutôt aux mandats de recherche et aux contrats spécifiques qui sont réalisés pour un particulier ou un organisme, par exemple une municipalité ou un musée. L’expérience (le cv…) peut alors avoir plus d’influence sur le tarif horaire, alors n’hésitez pas à négocier. Certains clients ont moins de marge de manoeuvre, d’autres en ont davantage. Un truc: se renseigner le mieux possible sur le client potentiel avant de commencer à discuter.
Comme je le mentionne dans mon article, il peut en outre y avoir des bénéfices «autres» qu’uniquement monétaires. Il m’est déjà arrivé de faire affaire avec un organisme dont la structure administrative ne permettait pas de dépasser un cachet prédéterminé de 75$ pour une conférence d’une heure… alors ils ont payé tous mes autres frais (transport, repas, excellent hôtel), m’ont trouvé une autre tribune pour faire une séance de dédicace suivie d’une conférence (payante) et m’ont organisé des entrevues avec quatre médias régionaux. L’arrangement a été extrêmement bénéfique! 🙂
Pour finir, je vous suggère fortement de vous bâtir une grille avec des «fourchettes» de tarifs, déplacement au km, frais de repas (perdiem), organisme à but lucratif ou non, etc., afin d’avoir déjà une base pour discuter avec vos clients potentiels.
Voilà, j’espère que cela vous aidera!
Bonne chance!
Catherine
GRAND MERCI ! 🙂