Vous avez dit «fondue»?

Il y a quelques semaines, j’ai eu le plaisir de recevoir chez moi un très joli paquet. 1001 Fondues, une entreprise familiale de Québec, m’envoyait en effet quelques «échantillons» de leurs fondues à essayer…

Il n’en fallait pas plus pour que j’aie envie de creuser un peu (eh oui), alors j’ai investigué une épineuse question : d’où vient l’habitude de faire de la fondue?

Ça se passe de légende, non?

Je fond, tu fonds…

Si l’usage de faire cuire des trucs dans du bouillon est presque aussi vieux que la domestication du feu, l’apparition de la fondue comme pratique culinaire est plus récente. Et elle s’est d’abord construite autour du fromage.

C’est Homère (le poète grec, auteur de l’Iliade… pas Homer Simpson! 😉 ) qui, le premier, a évoqué un mets à base de fromage de chèvre fondu, épaissi à la farine blanche et agrémenté de vin. L’idée de récupérer des bouts un peu durcis de fromage en les faisant fondre puis d’y tremper le pain de la veille est, il faut l’admettre, une bonne manière de valoriser les restes! Pas de gaspillage! Même si toutes les étapes de la propagation de la fondue ne sont pas documentées, on peut très bien se figurer que l’idée s’est vite retrouvée dans de nombreuses régions d’Europe, notamment en zone alpine. Un manuscrit paru à Zurich en 1699 et intitulé Pour cuire le fromage avec du vin indique que cette pratique se formalise au cours du 17e siècle.

Dans son célèbre ouvrage Physiologie du goût, le gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin parle de la fondue et en fournit même une recette, que je reproduis ci-dessous. (Dans le même livre, il écrit que «Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.» – on voit où Goscinny et Uderzo ont puisé leur inspiration pour faire chanter Astérix dans Quand l’appétit va, tout va!)

Fondue au fromage selon Brillat-Savarin, Physiologie du goût, parution originale en 1825.

Selon toutes les sources que j’ai pu consulter, il semble que l’histoire de la fondue connaît un véritable tournant en 1940. Pourquoi? C’est que la Suisse présente une «innovation» à l’Exposition universelle de New York : un caquelon… Les visiteurs qui goûtent alors à la fondue tombent sous le charme. Il faut dire que le plat séduit par sa simplicité, mais aussi par sa convivialité : placé au centre, les mangeurs y plongent à tour de rôle leur longue fourchette à deux dents.

En Suisse et dans le nord-est de la France, presque chaque région propose sa propre recette de fondue. On peut y ajouter de l’ail, des épices comme le poivre ou la muscade, du vin et même du kirsch. Les mélanges proposés par 1001 fondues, réalisés exclusivement avec des produits québécois, m’ont beaucoup plu! L’approche régionale est très intéressante. Par exemple, la Fondue de Bellechasse est faite de fromage Honfleur et de Saint-Charles, avec une touche de vin du vignoble Bel-Chas, alors que la Fondue de l’Outaouais comporte les fromages Raftman, Cheddar vieilli 4e génération, Monterey Jack et Brick’oleur de la Trappe à Fromage, agrémentés de la bière DumDuminator des Brasseurs du Temps. Il y a aussi la Charlevoisienne, celle de l’Abbaye, etc. Vous avez saisi l’idée! 🙂

Bourgogneries et chinoiseries

Bon, reprenons notre petite histoire. C’est donc au milieu du 20e siècle que se répand la pratique de cuisiner en « mode fondue »… même si on ne fait pas nécessairement fondre quelque chose! C’est ainsi qu’on a vu apparaître notamment la fondue bourguignonne et la fondue chinoise.

Malgré son nom, la fondue bourguignonne est d’origine… suisse! Elle aurait été «inventée» il y a 70 ans par un restaurateur de Lausanne, Georges Esenwein : en 1948, celui-ci aurait simplement décidé de remplir le fameux caquelon d’huile bouillante et d’y faire frire diverses viandes, à la manière des peuples bohémiens. La meilleure viande s’étant avérée être celle du bœuf charolais (un élevage typique de la Bourgogne et d’ailleurs utilisé dans le célèbre boeuf bourguignon!), Esenwein baptisa sa création «fondue bourguignonne».

Vous vous en doutez sûrement, ce qu’on connaît au Québec sous le nom de fondue chinoise est une adaptation de ce qu’on trouve dans diverses régions asiatiques. L’idée de base est de cuire des bouchées de viande ou de poisson dans un bouillon très chaud. Au lieu d’un caquelon et de fourchettes, on emploie plutôt une petite marmite et des mini-passoires individuelles en métal. Puisqu’on parle de bouillon, le tout est évidemment plus léger que la fondue à base de fromage ou d’huile!

C’est au milieu du 20e siècle qu’on voit surgir les premières mentions de fondue chinoise ici. Et figurez-vous que le bouillon à fondue chinoise de 1001 Fondues est apparemment l’un des plus anciens au Québec! Mis au point dans les années 1950 dans un restaurant du Vieux-Québec, sa recette a très peu changé à travers les années. On ajoute simplement quatre tasses d’eau au mélange, on fait chauffer, et hop! Par ici les fines tranches de viande, les champignons, le brocoli…

Pour finir, ne soyez pas «en restes»

On fait quoi avec les restes de fondue au fromage? Chez nous, ça finit tout bonnement dans une quiche ou dans une omelette aux légumes : miam! Un macaroni au fromage représente aussi une issue très honorable.

Et le bouillon de la fondue chinoise? Il me restait quelques tranches de viande, alors j’ai fait cuire le tout en ajoutant une lampée de bière noire La Corriveau impériale, placé ça dans des ramequins, déposé les coûtons de pain un peu sec, du fromage, «enwèye» au four à 425°F pendant 12 min… C’était juste parfait.

On peut presque sentir l’arôme du bouillon, riche et envoûtant…

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Et vous, êtes-vous plus de type fondue au fromage ou chinoise? Connaissez-vous la fondue Bacchus, à base de vin rouge, ou la fondue vigneronne, au vin blanc? À moins que vous ne juriez que par la raclette ou la pierrade… mais ça, c’est une autre histoire! 😀

Chose certaine, les Québécois ont décidément adopté la fondue et ses diverses déclinaisons. Ça rejoint notre p’tit côté festif, sans compter que ça vous réchauffe le corps quand il fait frette comme cet hiver! Vite, à nos caquelons!

Bises.

Catherine

Historienne, auteure et conférencière, Catherine Ferland est spécialiste d’histoire de l’alcool et de la gastronomie et, plus largement, d’histoire culturelle du Québec. Elle a écrit ou coécrit une quarantaine d’ouvrages et articles, dont Bacchus en Canada. Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France et La Corriveau, de l’histoire à la légende.  Elle signe des critiques culinaires au journal Le Devoir et fait régulièrement des chroniques d’histoire à Radio-Canada, en plus de faire des conférences aux quatre coins du Québec. Elle vit à Québec avec son amoureux, ses trois enfants et ses deux pinschers nains.