La Villa Livernois: vie et mort d’un précieux patrimoine

La Villa Livernois vers 2014. Photo Ville de Québec.

Ce qu’on appelait la Villa Livernois était située au 2390, boulevard Masson, à Québec.
Elle a été détruite par un incendie le 15 septembre 2019.


Histoire de la propriété

Jules-Ernest Livernois vers 1920. BAnQ, P560,S2,D1,P121300.

Une villa initiale est construite au début des années 1880 pour Gédéon Larocque, médecin et homme politique. Azilda Davignon, sa deuxième épouse, vend la propriété en 1888.
Le nouvel acquéreur est nul autre que son gendre, le photographe et homme d’affaires Jules-Ernest Livernois (1851-1933). Il avait épousé à Québec, en 1876, Maria-Rose-Félicité Larocque puis, en 1882, sa belle-sœur Louise Larocque.
(Voir mon article sur Élise L’Heureux Livernois, la maman de Jules-Ernest).

La villa en 1890. BAnQ, P560,S2,D2,P77237-3.

La famille Livernois profite abondamment du domaine, notamment de l’accès à la rivière mais aussi des chemins de terre environnants, parfaits pour pratiquer l’équitation!

Le jeune Paul Livernois sur son cheval, devant la résidence d’été de la famille à Petite-Rivière. BAnQ, P560,S2,D2,P77237-1.

Livernois achète ensuite des terrains adjacents en 1896 et en 1910 afin d’aménager un véritable domaine de villégiature.

Vue prise de la véranda : les enfants sont Jules, Paul et Julia Livernois. BAnQ, P560,S2,D2,P77237-4.

Au début du 20e siècle, la mode est aux grands domaines de villégiature. Ceux-ci sont érigés aux abords des cours d’eau, un peu en retrait de l’agitation urbaine, pour servir de lieux de plaisance et de détente. Dans la mentalité de l’époque, ces domaines symbolisent la réussite sociale de la grande bourgeoisie, de même que le raffinement de la civilisation.
Les jardins, sentiers, massifs de fleurs et arbres qui les entourent font partie intégrante de ces domaines, servant d’écrin naturel aux bâtiments.

Vue prise de la rive de la rivière Duberger, à l’arrière de la résidence d’été de Jules-Ernest Livernois à Petite-Rivière. BAnQ, P560,S2,D2,P77237-5.

Dans cet esprit, Livernois fait remodeler la villa en 1905 par l’architecte Joseph-Pierre Ouellet (1871-1959). Celui-ci récupère une partie de la villa précédente pour l’intégrer au corps de logis et y ajoute une tour de trois étages coiffée d’un toit à quatre versants, des fenêtres palladiennes et un oculus, des pavillons ornés de frontons, des balustrades, une galerie couverte et un balcon.
L’asymétrie et les nombreuses ornementations sont représentatives d’un courant stylistique, le néo-Renaissance italienne, issu de l’éclectisme victorien. Il s’agit d’un des rares exemples de ce type architectural dans la ville de Québec.

L’intérieur de la propriété

Vue de l’escalier central de la villa en 2014. Photo: Ville de Québec.

Tout comme l’extérieur, l’intérieur de la propriété est très soigné et témoigne de l’aisance financière des propriétaires.
Après le portail d’entrée, l’abondance de boiseries ornementales étonne l’œil : on y trouve des chambranles, des planches cornières, des lambris, des moulures, des épis, des aisseliers et un monumental escalier en bois massif.

Dans le salon trône une cheminée dotée d’un âtre décoré.

Les portes françaises sont ornées de vitraux. À noter que les écus centraux des portes semblent représenter des vues du château de Châtillon-en-Bazois, près de Nevers, d’où provenait l’ancêtre de la famille Livernois, Paul Benoit dit Nivernois. Ce clin d’œil généalogique est tout à fait dans l’esprit de l’époque.

Vue des portes françaises en 2014. Photo: Ville de Québec.


Transactions immobilières

En 1929, alors âgé 78 ans, Jules-Ernest Livernois donne sa résidence et les terrains adjacents à sa belle-fille Thérèse Roy, veuve de son défunt fils Paul Livernois (1883-1927). Celle-ci se remarie avec le médecin William Brown.
La villa continue d’être utilisée comme résidence d’été, alors que le quartier se développe beaucoup à partir des années 1940 et 1950.

Vue aérienne du secteur de la villa, 1948. Source de l’image : Université Laval, http://geospatial.bibl.ulaval.ca/Donnees/Mosaique/Quebec-1948.htm

En 1960, Thérèse Roy-Brown vend le domaine à l’hôtelier Léopold Lafrenaie.
Il semble que c’est à la suite de cette transaction que l’on fait construire un bâtiment reliant le corps principal de la villa aux écuries. Cette nouvelle «aile» comprend huit chambres et est aménagée à la manière des motels de l’époque.
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La Villa Livernois avant 1960, Ville de Québec.

Après quelques années, ces activités hôtelières prennent fin puisque, en 1963, la villa est acquise par la communauté religieuse des Auxiliaires franciscaines du prêtre et de l’Action catholique. Cette communauté, qui prend le nom d’Auxiliaires franciscaines Les Saules en 1968, occupe les lieux pendant près de 50 ans: la villa sert tour à tour de résidence, de centre missionnaire et de centre d’hébergement pour les sœurs retraitées et pour des personnes âgées.
Les anciennes écuries sont reconverties en maison de retraite, mais la date exacte de cette reconversion n’a pas été retrouvée.
En 2010, une communauté de prêtres acquiert le domaine : il s’agit du Séminaire missionnaire diocésain international Redemptoris Mater de Québec, un mouvement catholique traditionaliste. La villa devient ainsi un lieu d’enseignement pour les futurs missionnaires, mais quelques religieuses retraitées continuent d’y habiter.

La villa Livernois en 1986. Photo: Ville de Québec.


Intérêt historique et patrimonial

Tel que mentionné précédemment, la villa Livernois était construite dans le style néo-Renaissance italienne, un type architectural qui est très rare dans la ville de Québec.
Dans la mesure où la majorité des bâtiments du secteur Les Saules ont été construits à partir de la seconde moitié du 20e siècle, la Villa Livernois comptait parmi les plus vieux bâtiments du quartier.
Malgré l’urbanisation du secteur et ses multiples changements de propriétaires, le bâtiment a conservé la majorité de ses composantes architecturales d’origine jusqu’en 2014, dont ses nombreuses boiseries ornementales de même que son revêtement en bois et en tôle à baguettes. Son caractère naturel avait été préservé, peut-être en raison de la proximité des rivières Saint-Charles et Lorette et d’un important couvert végétal.
Bien que reconnue comme maison patrimoniale par la Ville de Québec, aucun statut juridique ne la protégeait vraiment. Le bâtiment a connu d’importantes détériorations entre 2014 et 2019, notamment sa toiture et son revêtement extérieur. Laissée à elle-même, la propriété se dégradait rapidement.
Un projet immobilier déposé en 2019 par les Immeubles Vivo semblait offrir une planche de salut à la Villa Livernois en l’intégrant à un ensemble résidentiel.

Une maquette du projet immobilier sur les terrains de la Villa Livernois, 2019. Photo courtoisie Les immeubles Vivo

Ce projet n’aura cependant pas eu le temps de voir le jour.

Un incendie dévastateur

C’est le 15 septembre 2019 que le sort de la Villa Livernois a été scellé. Un incendie s’est déclaré dans la tour centrale du bâtiment, nécessitant l’intervention du Service de protection contre les incendies de la ville de Québec. La première alarme a été enregistrée à 10h31, bientôt suivie de trois autres. L’attaque a été faite en mode défensif dès le départ de l’intervention. Des jets à haut débits ont été utilisés pour tenter de rabattre les flammes. À certains moments, jusqu’à 65 pompiers ont été sur les lieux.

 

Le feu s’avérant difficile à contrôler totalement, l’intervention d’une pelle mécanique a été demandée afin de détruire les murs encore fumants.

C’est ainsi qu’est parti en fumée ce qui était l’un des éléments
les plus originaux du patrimoine bâti de la ville de Québec…

Villa Livernois, 1905-2019


Revue de presse relative à l’incendie

 

Une version initiale de cet article a été publié sur le groupe Facebook
«Sauvons la villa Livernois» le 27 septembre 2018.
Les ajouts concernant l’incendie ont été faits le 16 septembre 2019.
Catherine Ferland, tous droits réservés.

7 avis sur « La Villa Livernois: vie et mort d’un précieux patrimoine »

  1. Quelle tristesse de voir un si beau bâtiment patrimonial détruit par les flammes. Malheureusement, nos élus ont peu de soucis pour protéger notre beau patrimoine riche d’histoire.

  2. Encore un coup de couteau dans le dos qui témoigne de l’inaction de la ville de Québec (et du MCC) pour la sauvegarde du patrimoine. Évidemment, je ne peux que déplorer cet acte et ne peux m’empêcher de penser au scandale de l’année en matière de patrimoine à Québec, c’est-à-dire la démolition crêve-coeur injustifiable et inacceptable du bijou qu’est Saint-Coeur-de-Marie sur la Grande Allée. Très durs coups pour le patrimoine à Québec!

  3. J’imagine que très bientôt on verra poindre un  »nouveau projet »… beaucoup moins couteux car le bâtiment n’y étant plus cela réduit les frais. Quelle honte pour une  »ville patrimoniale » d’avoir laissé ce joyau à lui-même !

  4. Ping : Message du présent au futur : quelle mémoire de ce que nous sommes léguerons-nous aux gens de demain? - FRANCOISE STEREO

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