Terroir charlevoisien, bonheur épicurien

J’aime mon Québec. J’aime particulièrement le goûter. Avez-vous remarqué à quel point l’offre gastronomique a littéralement «explosé» au cours des dernières décennies, proposant à nos papilles une symphonie de saveurs du terroir? Toutes les régions du Québec rivalisent d’ailleurs pour faire découvrir qui son fromage, qui son gibier, qui son alcool, qui ses produits dérivés de l’érable. C’est le cas de Charlevoix, où la multitude d’excellents produits a de quoi affoler une gourmande comme moi! Compte rendu d’une petite virée gastronomique entre amis.

Tiens, ça nous rappelle quelque chose!  A. Uderzo et R. Goscinny, Le tour de Gaule d'Astérix, éditions Dargaud , p. 48.

Tiens, ça nous rappelle quelque chose! A. Uderzo et R. Goscinny, Le tour de Gaule d’Astérix, éditions Dargaud , p. 48.

Jour J, cap sur la route 138. Temps gris et frais, plutôt idéal pour un tel déplacement. Pour préparer notre journée, deux «volontaires» de notre petit groupe ont fouillé un peu sur Internet afin de dénicher des producteurs intéressants et d’établir un itinéraire de base.

Nous nous sentons presque comme les célèbres protagonistes de l’album Le Tour de Gaule d’Astérix… mais au lieu du jambon de Lutèce (Paris), du saucisson de Lugdunum (Lyon) et du vin de Burdigala (Bordeaux), il est décidé que nous ramènerons plutôt (et entre autres!) des rillettes de canard de Saint-Urbain, du fromage de Baie-Saint-Paul et du cidre de l’Isle-aux-Coudres!

Si nous disposons d’un itinéraire de base, c’est une fois sur place que nous élaborons le périple au fur et à mesure. Sans trop de discorde, d’ailleurs! C’est que nous avons mis la main sur le guide touristique officiel de Charlevoix, mais aussi sur le magazine La Route des saveurs de Charlevoix. Il y a une vingtaine d’années, Charlevoix a été parmi les premières régions à se doter d’un organisme fédérateur, la Route des saveurs, qui publie ce magazine où se côtoient des descriptions des lieux et sites, des rencontres avec les producteurs des diverses denrées et d’alléchantes recettes pour les apprêter. L’outil s’avère fort utile quand on n’a qu’une petite journée à passer dans la région. Vous le trouverez d’ailleurs gratuitement dans les présentoirs à l’entrée de la plupart des lieux de production agroalimentaire. Mais il sera éventuellement remplacé par un nouveau guide puisqu’il sera refondu dans la foulée de la toute récente certification du terroir charlevoisien. De quoi donner faim!

Guidés par la gourmandise

Musée de l'Abeille / Économusée du mielPremier arrêt, à environ 30 km de Québec : le Musée de l’abeille/Économusée du miel, à Château-Richer. Outre le petit espace muséal consacré à l’histoire de l’apiculture ainsi qu’à l’évolution des techniques, on y trouve un très bel espace boutique où il est possible de déguster gratuitement plusieurs types de miels. Moyennant quelques dollars, on vous fera aussi goûter à quelques hydromels. Belles idées de cadeaux pour petits et grands. Pour ma part, j’en repars avec quelques friandises destinées à mes trois amours («pailles» de miel et suçons), un savon, un petit pot de miel de trèfle d’un blanc crémeux et une bouteille d’hydromel La Dame blanche (récipiendaire de nombreux prix à la Coupe des nations depuis 2003).

Second arrêt : la Ferme Basque de Charlevoix, à Saint-Urbain. Reçus de manière chaleureuse par la productrice, Isabelle, et sa fille, qui s’empressent de répondre à nos questions et nous proposent une petite dégustation. Nous avons donc la chance d’essayer le pâté de canard au foie gras, la mousse de foie gras et les rillettes de canard. Désireux de disposer de plus de temps pour visiter d’autres producteurs, nous déclinons l’offre de visite de la ferme. Si le magret et les cuisses confites sont fort tentantes, mon amoureux et moi nous décidons pour le pâté et les rillettes, auxquelles nous ajoutons quelques saucisses… de canard, cela va de soi. En repartant, un coup d’œil aux canards, plumage éclatant dans leur enclos en plein air, nous confirme qu’on a affaire à un élevage sain et respectueux.

Ferme Basque de Charlevoix

Produits de la Ferme Basque de Charlevoix. Photo: http://www.routedessaveurs.com

Troisième arrêt : le Centre de l’émeu de Charlevoix, toujours à Saint-Urbain. Ici, un accueil un peu plus impersonnel dans un décor évoquant un peu une pharmacie rurale. En effet, l’huile d’émeu est surtout appréciée pour ses propriétés médicinales: plusieurs présentoirs en vantent donc les bienfaits, avec leurs rangées de petits pots et flacons de plastique recélant des onguents contre les rhumatismes et une gamme assez complète de produits corporels adoucissants. On trouve aussi un comptoir réfrigéré dédié aux dérivés alimentaires de ce gros oiseau de la famille de l’autruche. Malheureusement, il ne semble pas possible de goûter aux produits sans faire la visite guidée ; c’est du moins ce que me répond la jeune employée. Sans beaucoup de conviction, j’achète quelques saucisses d’émeu, puisqu’on m’a souvent vanté cette viande savoureuse, ultra maigre et riche en protéines, mais j’aurais sans doute été plus enthousiaste s’il y avait eu  dégustation… Tant pis!

Quatrième arrêt: Les Viandes biologiques de Charlevoix, encore à Saint-Urbain. Drôle de petit comptoir situé dans un couloir, avec vue alléchante sur la salle où sont suspendus des saucissons! Des centaines de saucissons! Avec beaucoup d’amabilité, la femme aux belles joues roses nous invite à goûter quelques variétés. Nos coups de cœur? Le saucisson sec régulier, celui aux champignons (12 sortes de champignons sauvages de la région, pour une saveur boisée incomparable) et le chorizo. À noter: comme le nom l’indique, l’entreprise propose des produits 100% bios, exempts de nitrates et agents de conservation. Outre les saucissons, on peut y acheter du jambon, du poulet, divers pâtés.

Fromage Migneron, de la Maison d'affinage Maurice Dufour. Photo: www.fromagesdici.com

Fromage Migneron, de la Maison d’affinage Maurice Dufour. Photo: http://www.fromagesdici.com

Cinquième arrêt : la Maison Maurice Dufour, à Baie-Saint-Paul. On touche au divin. Pour une amatrice de fromage de ma trempe – et mes compères ne sont pas en reste – la vue en plongée des salles d’affinage, où reposent d’appétissantes meules à croûte dorée, est l’antichambre du paradis. Et la table de dégustation, avec la possibilité de goûter aux six fromages produits par la famille Dufour, achève de nous convertir. L’enjeu, ici, est de conserver sa raison et de ne pas se procurer une «roue» entière de chacun. Je parviens à me raisonner et à me «contenter» de nos trois favoris. D’abord un Migneron, qui a tellement contribué à la renommée de cette fromagerie et a notamment été couronné Grand Champion au Grand Prix des Fromages Canadiens en 2002. Ensuite un Tomme d’Elles, fait de lait de vache et de lait de brebis, dont j’adore la saveur subtile – je ne suis pas la seule, il s’est mérité la Sélection Caseus 2011 dans sa catégorie. Enfin, un Secret de Maurice, fromage coulant au lait de brebis dont on ouvre le dessus pour le manger comme une trempette ou – vraiment cochon! – à la petite cuillère.

Sixième arrêt: la Laiterie Charlevoix/Économusée du fromage, à Baie-Saint-Paul. Wouhou! Outre les produits de la laiterie, l’espace boutique offre aussi les nombreux produits d’autres producteurs régionaux: un endroit intéressant pour un visiteur pressé qui ne peut s’accorder le loisir de visiter plusieurs endroits. Nous repartons avec un bon morceau de 1608, un autre d’Hercule (tiens, deux fromages qui étaient à l’honneur dans l’une de mes précédentes chroniques culinaires dans le Devoir!) et une belle pointe de Fleurmier.

Serez-vous étonnés d’apprendre qu’après ce premier segment du périple, et en dépit des dégustations, nous sommes littéralement affamés? Un intermède est donc déclaré : nous nous posons Chez Bouquet Éco-bistro, restaurant de l’Auberge La Muse, sur la passante rue Saint-Jean-Baptiste à Baie-Saint-Paul. J’y mange un excellent feuilleté aux fruits de mer. Un de mes amis a choisi le chevreau. Je l’envie presque. Après ce bon dîner suivi d’une petite flânerie d’une petite demi-heure sur la main, nous reprenons la route. Direction Saint-Joseph-de-la-rive (Saint-Jos, comme on dit par là-bas) pour y prendre le traversier à destination de l’Isle-aux-Coudres.

L'or de l'Isle-aux-Coudres

L’or de l’Isle-aux-Coudres. Photo: http://www.vergerspedneault.com

Septième arrêt : Cidres et Vergers Pedneault, à l’Isle-aux-Coudres. Oh. My. God. Un comptoir où s’alignent des dizaines de bouteilles avec possibilité de goûter à tous (oui, tous) les produits. Je vous fais un aveu: le cidre est un produit que j’ai appris à connaître il n’y a pas si longtemps. Mais je me suis très bien rattrapée, si bien qu’aujourd’hui je puis affirmer qu’il s’agit de l’un de mes alcools favoris. Et le sieur Pedneault s’y entend, pour faire chanter toute l’âme de la pomme. Au gré des produits, il la laisse s’exprimer seule ou bien en duo avec des poires, des cerises, des prunes. J’avoue que dans cet antre, j’ai perdu le peu de mesure qui me restait. Nous en ressortons avec un moût de pommes pétillant (sans alcool), une bouteille de L’or de l’Isle-aux-Coudres, mousseux ultra-rafraîchissant de cidre de pommes et de poires qui peut avantageusement remplacer le champagne, et une bouteille de Prunelle, un alcool de prunes absolument renversant que je ne saurais trop vous recommander. Ah, et un petit ensemble de cinq mini-bouteilles de cinq variétés de mistellesÀ lui seul, cet arrêt justifie amplement sinon le voyage entier, du moins le déplacement en traversier.

Huitième arrêt : Les Moulins de l’Isle-aux-Coudres / Économusée de la meunerie, évidemment à l’Isle-aux-Coudres. Comme je l’ai déjà précisé, le temps nous manque malheureusement pour faire toutes les visites ; c’est donc avec un peu de regret que nous nous contentons de faire le tour de l’espace boutique associé au complexe. J’y déniche une poêle de fonte à l’ancienne, pesante à souhait, exprès pour faire des crêpes. Et deux kilos de farine de sarrasin blutée à l’ancienne pour confectionner lesdites crêpes. On essaiera ça très bientôt à la maison. Décidément, j’aimerais bien revenir avec les enfants : les Moulins se sont mérité la mention «Coup de cœur du jury» aux Prix du patrimoine 2013… Mais il nous reste à peine assez de temps pour une dernière visite avant de reprendre le traversier. Vite, en voiture.

Neuvième arrêt : la Boulangerie Bouchard, sur la pointe ouest de l’Isle-aux-Coudres. Située sur un belvédère donnant une vue hallucinante sur la côte, elle mérite le détour. Sitôt franchi le seuil, on nous invite à goûter un morceau de riche brioche aux raisins. Ça sent bon, comme dans une cuisine traditionnelle dans le temps des Fêtes! On en ressort avec une grosse brioche, un pain aux raisins, un «pâté croche» (sorte de chausson à la viande, spécialité de cette boulangerie)… et chacun un «trottoir» (le mien aux cerises) pour tromper la faim qui recommence à poindre, en prévision du retour à Québec. Toute bonne chose a une FAIM (ben quoi, je l’aime, moi, ce jeu de mots!)

Il faudra revenir pour la Ferme Caprivoix, les Volières Baie-Saint-Paul, la Microbrasserie Charlevoix…

Entre authenticité et publicité

Logo Aliments Québec

Logo Aliments Québec

Retour à Québec, donc. L’armoire et le frigo rempli des nouvelles acquisitions en attente d’être dégustées. Où se ravitailler en excellents produits régionaux, quand on habite la «grand’ville»? Je suis bien abonnée aux paniers de La Mauve (j’en reparlerai dans un prochain billet, je crois), mais ça ne me suffit pas encore. Outre les regroupements agrotouristiques qui font la promotion in situ des produits locaux, le mangeur aime bien consommer des produits du Québec, guettant le petit logo fleurdelisé sur les vignettes surplombant les étalages… mais il faut reconnaître que les règles actuelles d’étiquetage comportent encore d’importantes zones de flou. En faisant votre épicerie, vous est-il arrivé de vous demander si le joli produit sur l’étalage, avec son emballage à l’ancienne, est bien de chez nous? Ou bien quel est le degré d’authenticité d’un aliment supposément «du terroir»? Une petite boucle de raphia, un carton style fait à la main, un nom et une image évoquant le «bon vieux temps», et voilà le consommateur berné!

Il y a déjà longtemps que certains pays, dont la France, ont mis sur pied des systèmes d’appellations contrôlées afin de protéger leurs produits et de garantir des normes de qualité aux consommateurs. Sur ce plan, et malgré d’excellents produits, le Québec tarde à s’imposer. La certification biologique est la seule norme véritablement réglementée en ce moment dans la Belle Province. Quant aux produits spécifiques, seul l’agneau de Charlevoix bénéficie à ce jour d’une «appellation»: il jouit d’une indication géographique protégée (IGP) depuis 2009.

Une lueur d’espoir: un article paru dans La Presse du 4 novembre 2012 révélait que le cidre de glace et le fromage de lait de vache canadienne deviendraient bientôt des appellations réservées au Québec. Le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), qui existe depuis 2006, travaille activement en ce sens. Je considère qu’il s’agit d’une lancée prometteuse pour nos produits régionaux, tant dans la splendide région de Charlevoix qu’ailleurs dans la province.

En attendant, je vous invite à repérer les kiosques Les Saveurs Charlevoix à Place de la Cité (à Québec) ainsi qu’au Marché Jean-Talon (à Montréal). Ainsi que les produits eux-mêmes dans les étalages de vos supermarchés favoris.

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Un spécialiste de l’alimentation, Claude Fischler, qui a beaucoup réfléchi sur la question, disait que pour qu’un aliment soit bon à manger, il doit d’abord être «bon à penser». Il est vrai que le contenu de l’assiette révèle beaucoup de choses sur le mangeur: en notre ère du «vite, vite, il faut être productif», il faut avouer que trop souvent nous pensons peu et mangeons mal. Sans se détourner à tout jamais des nourritures industrielles – qui font partie de notre quotidien, pour le meilleur et pour le pire – si nous prenions le temps de nous questionner sur ce que nous choisissons de manger?

– Catherine