Ah, l’automne. Saison qui m’a toujours à la fois fascinée et attristée, depuis que je suis toute petite. Vous savez, cette sensation faite de renouveau (rentrée des classes, recommencement des cours) mais aussi de renoncement (fini le maillot, bonjour le paletot!), où il est si facile de se laisser happer dans le tourbillon des trucs à faire ou, au contraire, de sombrer dans une sorte de mélancolie saisonnière. Alors que voilà bien installé l’automne québécois aux feuilles dorées et à l’humidité persistante, mon humeur oscille entre ces deux pôles. Au gré du vent.
Il n’y a que les Québécois pour apprécier véritablement l’automne et, surtout, pour comprendre pleinement ce qu’il signifie. Spectaculaire manifestation du cycle des saisons, il semble qu’on ne s’y habitue jamais, année après année. On veut croire que le soleil continuera de nous réchauffer. Que le gros manteau de laine et l’écharpe peuvent encore dormir quelques temps au fond du placard. On brave les 12 degrés Celsius avec une arrogance presque touchante : nié par autant de têtes et de gorges nues, le fond de l’air ne nous apparaît pas si frais. Et pourtant, un matin… surprise! Les brins de gazon étincèlent sous le givre bleuté et les pare-brise se sont parés de cristaux: voilà des centaines de banlieusards farfouillant le fond du coffre de leur voiture pour retrouver le grattoir qu’ils y avaient abandonné avec tant de désinvolture quelques mois plus tôt. Et dire que nous ne sommes pourtant qu’en octobre. «D’octobre en avril, les fleurs du grésil», chantait joliment Vigneault.
Il y a pourtant des moments d’enivrant bonheur, alors que le pas foule les tas de feuilles mortes et en libère les odeurs caractéristiques qui nous rappellent irrésistiblement l’enfance. Qui, tout petit, n’a jamais joué à sauter dans un amoncellement de feuilles aux camaïeux de jaune, de safran et d’ocre, y enfouissant son visage pour humer la sève fanée aux relents sucrés? L’odorat est le sens qui, dit-on, nous ramène aux souvenirs les plus anciens. Voilà pourquoi année après année, je revis en odeurs les automnes de mon enfance, y greffant progressivement des expériences plus récentes. Le goût n’est pas en reste, alors que nous délaissons les grillades pour revenir aux plats longuement mitonnés, et que dans nos verres les légers vins rosés cèdent la place aux bières d’automne. Oktoberfest! La vue a la part belle, évidemment, avec le festival généreux qu’improvisent les végétaux sous nos latitudes, les pommes bien rouges dans les vergers, les feuillages éclatants après
les ondées, explosions visuelles dont l’œil n’a pas le temps de se saturer. Si l’odorat, le goût et la vue sont sollicités par toute cette exacerbation, l’ouïe subit plutôt une expérience contraire, alors que le départ des oiseaux (et le repli stratégique des voisins amateurs de patio!) nous permet de réapprendre à entendre le bruissement des feuilles, le clapotement des bottes de pluie dans les flaques et le crépitement du feu où un vieux monsieur brûle divers branchages. Quant au toucher, il est mitigé: certes, nous devons recommencer à couvrir progressivement notre épiderme, mais nous redécouvrons du même coup toutes ces sensations procurées par le contact du feutre ou de la laine, par la texture du gros chandail qu’on enfile, par la pesanteur rassurante de la «doudou» qui nous tient bien chaud.
Après quelques mois d’insouciance estivale, la nature de charge de nous rappeler qu’elle maîtrise nos sens et nos destinées, quel que soit le degré de sophistication de nos sociétés modernes. C’est là sa poésie inhérente.
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«Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver…» chantait notre cher poète de la Côte Nord. J’aurais envie de renchérir que mon Québec ne serait pas le Québec sans ses automnes. Et nous ne serions pas Québécois sans tout ce que cette saison nous apporte, tous autant que nous sommes.
– Catherine