Quand il n’y a pas de mal à se faire plaisir
Ahhhh! Est-ce que les excès du temps des Fêtes ont tendance à vous inspirer de bonnes résolutions – genre exercice et saine alimentation – vous? Et passé les premières semaines, quand janvier est révolu et que février se pointe le nez, parvenez-vous à garder le cap? Pour une gourmande assumée comme moi, c’est difficile de renoncer aux «bonnes choses».
Bon, j’ai réussi à couper presque totalement l’alcool et à bannir, du moins pour un temps, les chips et fritures. Mais si je suis parvenue à esquiver la Poutine Week cette année, il me semble impensable de couper le fromage! J’ADORE le fromage. Je devrais dire LES FROMAGES.
La réception d’un joli colis de la Fromagerie L’Ancêtre, avec à son bord un joli assortiment de fromages (dont plusieurs très «santé»), me fournit donc l’occasion rêvée de vous jaser de cet aliment, ma foi, incontournable de nos tables. Histoire oblige, débutons avec un petit récapitulatif de la généalogie du fromage québécois.
De la tradition à la modernité
Dans la mesure où les Amérindiens de la vallée du Saint-Laurent ne pratiquaient pas l’élevage ni la production de lait, l’histoire du fromage au Québec débute avec l’arrivée des colon français. Les premières vaches laitières font la traversée atlantique et débarquent à Québec dès le début du XVIIe siècle, ce qui permet graduellement de se constituer un bon cheptel. Bien sûr, les colons (donc beaucoup originaires de Normandie et de Bretagne) importent certaines recettes et traditions fromagères. La première production documentée en Nouvelle-France serait celle du «raffiné de Saint-Pierre», un fromage de lait cru qu’on commence à fabriquer vers 1690 à l’île d’Orléans, près de Québec. Affiné dans un coffre de bois, il se présente sous forme ronde et son goût évoque, semble-t-il le camembert. Il se vend trente sols la douzaine vers le milieu du XVIIIe siècle!
On importe aussi des fromages d’Europe, particulièrement de Hollande et d’Angleterre. Ces grosses meules de fromages fermes sont appréciées mais très chères, ce qui les réserve aux tables des mieux nantis.

Fabrication de fromage à l’École de laiterie de la province de Québec à Saint-Hyacinthe, 1945. BANQ.
La Conquête de 1763 a pour effet de stimuler la production fromagère : en effet, les Britanniques, notamment les immigrants loyalistes fuyant les États-Unis après la guerre d’Indépendance, favorisent l’introduction de types de fromages jusqu’alors pratiquement inconnus ici. Dans les décennies qui suivent, l’amélioration des races de vaches laitières et l’invention de nouveaux procédés mécanisés permet au fromage d’entrer dans la modernité. La première fromagerie de l’ère industrielle démarre ses activités à Dunham en 1856, tandis que la toute première fromagerie école d’Amérique du Nord est fondée en 1881 à Saint-Denis-de-Kamouraska. Comprenant la nécessité de se doter des connaissances et technologies les plus modernes, le ministère de l’Agriculture favorise ensuite l’ouverture de l’École de laiterie de Saint-Hyacinthe. Celle-ci ouvre ses portes en 1892 et, devenue plus tard l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe, elle forme des milliers de jeunes hommes aux merveilles de la centrifugation, de la bactériologie, de la chimie, de la nutrition et même de la pasteurisation!
Toujours plus de fromages
Le Québec développe une spécialisation en cheddar qui lui vaut une renommée au-delà des frontières : au tournant du XXe siècle, des millions de caisses de cheddar québécois sont expédiées annuellement aux îles britanniques… et jusqu’à la table de la royauté. Or, cette expertise a son revers : ce type de fromage dominera le paysage fromager du Québec pratiquement jusqu’aux années 1940. Seuls le Oka et quelques types camembert et feta se démarquent un peu. En 1943, la fromagerie de l’abbaye Saint-Benoît-du-Lac crée le Bleu l’Ermite, premier fromage bleu québécois.
Expo 67 a un retentissement important sur les goûts des Québécois, en ouvrant les horizons et en donnant envie de développer autre chose. Les fromagers fignolent leurs produits jusqu’à en développer d’excellents : ainsi, lors du World International Cheese Competition de 1972, un cheddar et un brick du Québec remportent respectivement le premier et le troisième prix. Deux ans plus tard, au même concours, le brick de la Coopérative agricole de Granby rafle les honneurs.
Ayant pris confiance, on se met à expérimenter : les années 1990 voient foisonner les fromageries artisanales et microfromageries où l’on utilise, outre celui de vache, des laits de chèvre et de brebis.
Le Québec compte aujourd’hui environ une centaine de fromageries (toutes catégories confondues), dont le travail est salué lors des concours nationaux et internationaux, notamment au World Championship Cheese Contest où nos fromagers remportent nombre de prix, médailles et honneurs de toutes sortes.
Nous pouvons être très fiers des fromages du Québec!
Des fromages pour tous les goûts
Ce qui me ramène au plaisant colis qui a été déposé chez moi il y a quelques jours… Pour une fille qui se targue d’avoir goûté pas mal de choses ces dernières années (bon, pas autant que l’amie Allison, mais tout de même!), il me faut confesser que ça a été l’occasion de découvrir plusieurs fromages que je ne connaissais pas. La Fromagerie L’Ancêtre, basée à Bécancour, se spécialise en effet dans le bio et a développé une gamme résolument santé. Je vous parle ici de ceux qui m’ont particulièrement plu.
Ainsi, j’ai découvert avec beaucoup de plaisir le Port-Royal aux poivrons rouges et jalapeños : sans lactose et contenant seulement 7% de matières grasses, sa texture est évidemment différente, par exemple, de l’excellent Cheddar moyen (31% M.G., aussi sans lactose), mais ça nous donne un fromage éminemment savoureux et agréable à déguster tel quel. Je l’ai aussi essayé en omelette : c’était parfait, pas besoin d’ajouter quoi que ce soit d’autre! Pour celles et ceuzes qui aiment moins le piquant, la version aux poivrons rouges et verts conviendra très bien.
Le Cheddar extra fort (31% M.G., sans lactose) et l’onctueux Suisse emmenthal (27% M.G., sans lactose) ont aussi été très appréciés chez moi : servis en petits cubes avec une belle assiette de légumes, c’est un snack plein de pep, même s’il faut y aller plus mollo car plus riche.
Quant au délicieux Parmesan (30% M.G., sans lactose), il n’a guère survécu au-delà de quelques repas familiaux (il est vrai que nous sommes cinq «bibittes à fromage» à la maison), râpé avec énergie et enthousiasme sur les pâtes et sur la salade César. Ça m’incite à faire ce vœu : ne plus acheter de parmesan autre que cette version faite localement, bio et si réussie.
Menoum!
*
J’entends parfois le commentaire suivant : «Oui, c’est vrai que les fromages du Québec sont bons, mais ils sont trop chers!» On ne peut nier que le prix au kilo peut représenter un empêchement… Mais connaissez-vous le remède magique à cette situation? C’est de soutenir nos fromagers locaux. Ben oui. Acheter Québécois, c’est un choix qui a un impact beaucoup plus grand collectivement que celui qu’il peut avoir sur votre facture d’épicerie hebdomadaire. Achetons un peu moins, mais achetons mieux: au lieu de se procurer quatre fromages importés pour notre plateau de la Saint-Valentin, privilégions trois fromages du Québec. Puis tiens, «accrochons» au passage une bouteille de vin du Québec pour accompagner ça!
On dit parfois qu’il faut avoir la fierté à la bonne place. L’estomac, c’est un fichu de bon départ… Soyons fiers de nos produits d’ici et faisons-leur une place d’honneur à notre table.
Bises.
– Catherine
Historienne, auteure et conférencière, Catherine Ferland est spécialiste d’histoire de l’alcool et de la gastronomie et, plus largement, d’histoire culturelle du Québec. Elle participe régulièrement à des émissions de radio et de télé, en plus de faire des conférences aux quatre coins du Québec. Elle a écrit ou coécrit une trentaine d’ouvrages et articles, dont Bacchus en Canada. Boissons, buveurs et ivresses en Nouvelle-France et La Corriveau, de l’histoire à la légende. Elle signe des critiques culinaires au journal Le Devoir et fait des chroniques d’histoire hebdomadaires à Radio-Canada. Elle vit à Québec avec sa famille.

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